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Résumé de la conférence du mardi 14 novembre 2023, par M. Jean Jacques SCHWIEN, «  » En marge de l’incendie de Notre Dame, les charpentes des cathédrales en France »


Résumé de la conférence du mardi 14 novembre 2023, par M. Jean Jacques SCHWIEN, «  » En marge de l’incendie de Notre Dame, les charpentes des cathédrales en France »

CONFERENCE « En marge de l’incendie de Notre-Dame, les charpentes des cathédrales »

Par JEAN JACQUES SCHWIEN

 

                                                                 

Le conférencier, M. JEAN-JACQUES SCHWIEN

 

Médiathèque Espace Liberté à Ensisheim – 14 novembre 2023

Attendue ! C’est le moins que l’on puisse en dire de cette conférence tenue en un pluvieux et frisquet soir de novembre par la Société d’Histoire d’Ensisheim. Superbe, enrichissante, instructive, complète, passionnante….tels étaient les superlatifs conclusifs venant d’une majorité des 80 personnes venues y assister et encourageant ainsi nos efforts à persévérer dans la tenue de ces cycles annuels de conférences animant maintenant depuis plus d’une dizaine d’années le programme culturel de notre cité des Habsbourg.

 

Alors, que s’est-il donc passé entre ces deux moments ?

 

Le président de la SHE, Jean Jacques SCHIWIEN, par ailleurs conférencier du soir, savait à quel point sa présentation était attendue. En effet, elle avait été conçue voici près de trois ans et demi, juste après l’incendie dévastateur de la cathédrale Notre Dame de Paris, survenu le 15 avril 2019. La stupeur, succédant à la destruction totale de la charpente de l’édifice parisien, cher au coeur de toute une nation, avait sidéré les esprits et tous nous nous posions la question de l’avenir de la cathédrale et de comment parvenir à restaurer un tel joyau, et surtout la forêt de bois légendaire constituant son toit. Jean Jacques Schwien s’était alors proposé de nous informer sur l’histoire de ces charpentes vertigineuses et emblématiques, traversant l’Histoire au gré des vicissitudes guerrières, météorologiques ou accidentelles.

Tout était prêt fin 2019, lorsque le Covid et ses contraintes sanitaires nous conduisirent à reporter, à plusieurs reprises, la tenue de cette conférence. Jusqu’à ce soir de novembre 2023, où nous allions enfin être éclairés sur tous les points qui nous taraudaient.

 

Jean Jacques Schwien a donc accueilli le nombreux public rassemblé à la médiathèque en ouvrant une conférence riche en documents et précisions, tant techniques qu’historiques, le tout soutenu par de nombreuses vues d’édifices et de tableaux descriptifs.

Une première partie était consacrée à un point crucial : La destruction d’une charpente quasi millénaire et le besoin de reconstruction.

En premier lieu, la datation dendrochronologique de la charpente de Notre Dame et sa première construction. Fort heureusement, juste avant le désastre, une étude venait d’être conduite par des spécialistes, MM Lambert et Hoffsummer, permettant ainsi de sceller en quelque sorte la traçabilité des bois de cette charpente.

En l’occurrence, un premier état de celle-ci a pu être daté aux alentours des années 1220 / 1240, avec notamment, quelques remplois de bois de 1050. Devait suivre une significative évolution en 1859, sous la conduite de l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, avec des travaux sur le transept et bien sûr l’historique et remarquable flèche.

 

Cette première approche cernée, pouvions nous établir un lien de causalité entre les travaux de restauration débutés quelques mois avant le drame et le déclenchement de l’incendie d’avril 2019 ? Bien évidemment, le temps de l’information et le temps des investigations nécessaires à l’enquête en cours étant fondamentalement différents, il n’est pas possible, aujourd’hui, de pouvoir déjà répondre avec certitude à cette question.

Néanmoins un constat peut être posé : une grande partie du « trésor de Notre-Dame » a pu être sauvé par l’action résolue et efficace des secours. Ainsi, parmi tant d’autres, les calices, la mythique couronne d’épines ou la tunique de Saint-Louis ont pu être sauvés et mis à l’abri en attendant de retrouver leur écrin. De même, l’immense inquiétude quant à l’intégrité des superbes vitraux de Notre-Dame s’est effacée, grâce encore à l’intervention des pompiers, et tous ont été préservés. Les autres craintes visant les maçonneries ou le grand orgue du 18ème ont également laissé place à la certitude de leur préservation. Jean Jacques Schwien a insisté sur l’importance des voûtes de la cathédrale qui ont pleinement joué leur rôle de protection et de pare-feu, malgré le cataclysme, contribuant significativement à épargner l’essentiel des structures de l’édifice, et limitant les dégâts, certes majeurs, à d’importants dégâts d’eaux et aux conséquences très néfastes de la fonte massive  des plomb de la toiture, entraînant de sérieux désordres de maçonnerie.

L’intérêt massif des parisiens et de la population en général a rapidement rassuré les « rebatisseurs » sur l’aspect financier de la reconstruction. Les mécènes…et les polémiques… sont parvenus à réunir une somme significative qui devrait permettre d’accompagner les travaux nécessaires. De surcroît, une volonté politique affichée, et surtout la mobilisation de l’ensemble des corps de métiers et des confréries, ont permis d’engager rapidement la reconstruction, qu’une décision présidentielle, après consultation populaire quant à une forme historique ou contemporaine, a fixé comme devant être à l’identique, flèche de Viollet-le-Duc comprise.

Le monde scientifique s’est également penché sur le sort de Notre-Dame, rassemblant plusieurs dizaines d’experts et les premiers effets de la reconstruction sont d’ores et déjà visibles depuis mars 2023.

 

Dans une seconde partie, Jean Jacques Schwien a abordé l’épineuse question des incendies, sommes toutes fréquents, des édifices religieux au cours des siècles, affectant plus particulièrement les cathédrales.

L’emblématique incendie de la cathédrale de Strasbourg, gravement touchée par les artilleurs allemands en 1870, intègre en effet une longue série de sinistres similaires tels qu’à Vezelay en 1165, Canterbury en 1174, Notre-Dame de Paris (déjà) en 1218, Amiens en 1528, Troyes en 1700, Reims en 1914 ou, plus près de nous, Toul en 1940 et Nantes en 1972, parmi tant d’autres.

Très peu de monographies existent sur ces incendies, permettant de mieux comprendre leurs causes, à l’exception de celui de la cathédrale de Reims en septembre 1914, très gravement endommagée à la suite d’un méthodique travail d’artillerie qui pourrait aussi avoir été appuyé par une logique politique, l’édifice présentant, aux yeux des français, une signification historique particulièrement prégnante.

Certains de ces incendies pouvaient détruire, notamment sous le Moyen-Âge, des quartiers entiers. On dénombre ainsi pas moins d’une soixantaine de sinistres majeurs entre les 10e et 15e siècles, surtout dans la seconde partie de la période considérée. Un tableau fort précis est commenté par le conférencier et attribue l’origine fréquente des causes de 20 incendies majeurs examinés, au déclenchement de la foudre (13 fois), mais aussi à des travaux en cours (comme vraisemblablement à l’incendie récent de Notre-Dame) ou à des faits de guerre comme nous venons de le voir en 1870, 1914 ou encore en 1944.

D’efficaces mesures avaient été prises au Moyen-Âge en guise de parades à l’extension cataclysmique de ces incendies, survenant souvent au coeur des villes, afin de limiter la propagation aux maisons voisines, créant de véritables espaces pare-feu comme on peut le voir dans les actuels incendies de forêts, et n’hésitant pas en cas de besoin, à détruire les maisons mêmes saines lorsqu’elles étaient contiguës au brasier.

Enfin, dans une troisième partie, Jean Jacques Schwien a exposé à l’assemblée les différentes conceptions de toitures de cathédrales et leurs évolutions.

Très majoritairement élaborées à l’aide de bois d’oeuvre, certaines de ces charpentes sont conçues à partir d’éléments métalliques, comme à Reims, Metz ou Noyon.

La documentation médiévale dispose certes d’images et de représentations en nombre des chantiers de construction , mais l’essentiel concerne la taille de pierre, le gâchage du mortier ou le transport des matériaux et très peu sur la conception des charpentes, ou alors elles ne sont guère réalistes. On peut néanmoins dégager quelques axes forts sur ce thème.

Les types de couvertures : elles sont très fréquemment en plomb (par exemple à Paris ou Strasbourg médiéval) ; en cuivre dans le cas de Strasbourg depuis 1765 ; en tuiles (à Auxerre) ou  plus rarement en ardoise.

Les charpentes proprement dites donnent l’impression d’une forêt de bois. Beaucoup sont conçues en forme de coque de bateau renversée.

Les bois d’oeuvre viennent souvent des forêts proches du site dans un rayon de 50 kilomètres. Par exemple pour Strasbourg, ils viennent majoritairement de  Forêt-Noire. Le transport des poutres et planches  se faisait au moyen de radeau de bois, par les rivières et canaux. La masse d’arbres nécessaires, venant quelquefois à se raréfier, a très vite interpellé les charpentiers d’où une gestion drastique du bois d’oeuvre par les seigneurs et autres institutions, mettant en oeuvre une véritable économie du bois en quelque sorte.

Les étapes de la construction proprement dite des charpentes nous est encore assez opaque, en raison de l’absence de plans permettant de visualiser la masse des bois nécessaires, et leur imbrication. Les appellations sont certes définies, les pièces pouvant être des fermes, des entraits, des pannes, des contreventements, etc.… Le travail avant pose sur l’édifice était réalisé sur place et en amont, avec une épure au sol (sur un plancher) des charpentiers, une numérotation en chiffres romains ou signes cabalistiques, puis un démontage avant mise en place.

La phase du remontage proprement dite est donc, quant à elle, plus vague. Des échelles, très grandes, des échafaudages et des treuils à roues servaient à hisser hommes et matériel jusqu’au dessus des voûtes pour y assembler les éléments de charpentes, dans des conditions qu’on peut imaginer aisément comme risquées. Plusieurs de ces treuils à roues sont conservés en Alsace ou alentours (Colmar, Strasbourg, Thann, Fribourg). Le montage de fermes complètes par le biais de ces treuils n’est pas impossible.

Le conférencier a ensuite présenté les différents types de charpentes, regroupées en deux périodes principales. Un premier type, avec des fermes de 30° de pente, couvrent une large période de l’époque romaine à la période romane. Les exemples conservés sont rares: on peut citer un édifice en Egypte, daté du 6ème siècle après Jésus-Christ. Pour Saint-Pierre de Rome, une fresque visualise sa charpente du 4ème siècle, détruite au 17e s. Pour l’époque romane, elles sont plus fréquentes, avec des exemples cités de Rosheim, Haguenau ou (les maisons urbaines de) Cluny.

A partir de 1200/1250 environ, leur format change du tout au tout, avec en particulier des toits très pentus, de 60° d’ouverture en moyenne. Des recherches régionales systématiques ont été menées au moyen de datations dendrochronologiques sur la Normandie et le nord de la France, pointant des dizaines d’exemples (cathédrales et abbayes cofondues). L’Alsace n’est pas en reste, avec les cas bien détaillés par le conférencier de Saint-Thiébaut à Thann (1418-1475) tout comme ceux de bâtiments civils tels le grenier à sel de Wissembourg (1448) ou une maison particulière à Dambach-la-Ville (1439). On se demande pourquoi une telle évolution, qui fragilise les toitures, sous l’effet de la poussée des vents. On peut avancer, mais sans certitude, la nécessité technique de toitures dépassant les hautes voûtes gothiques tout comme le besoin d’équilibre esthétique entre ces édifices élancés et leur couvrement (un rapport de deux tiers/un tiers dans le cas de Thann).

Cet élancement, en tout cas a aussi entraîné des modifications des modules de couverture, en particulier des tuiles. En effet, les charpentes romaines étaient couvertes de tuiles plates sans moyens de fixation. On n’a gère d’informations sur les charpentes romanes encore existantes, bien évidemment largement remplacées depuis leur mise en place. En revanche, les édifices gothiques avec leur pentes de toitures raides n’ont pu couvertes qu’avec des tuiles à crochet, « suspendues » au lattis. Le détail des étapes de cette évolution nous échappe encore mais la tendance générale est assurée. De ce point de vue, on peut dire que les édifices gothiques n’auraient pas pu être conçus sans cette micro-révolution de la tuile à crochet, tout comme ils n’auraient pas pu voir le jour sans le développement de la métallurgie du fer qui assure partout un complément indispensable au montage des maçonneries (un sujet qui pourrait faire l’objet d’un autre exposé…).

 

Au total, on note que le charpentier devient un partenaire majeur de la construction des grands édifices à l’époque gothique. Il participe même de la révolution du gothique tout comme le forgeron. Pour ce dernier, on le soupçonnait depuis quelques décennies. Mais grâce aux datations dendrochronologiques qui permettent désormais de mettre en relation des charpentes élaborées au même moment que les maçonneries avec arc-boutants et voûtes d’ogives, on peut ajouter les spécialistes du bois à la liste des artisans-ingénieurs du XIIIe siècle. Il est clair aussi qu’ils ont été nombreux à oeuvrer à ces évolutions, du fait de différences régionales très fortes d’une charpente à l’autre. Et leurs noms nous sont presque tous inconnus avant la seconde moitié du XVe siècle, tout comme ceux des architectes. Ce qui a donc disparu avec l’incendie de Notre-Dame de Paris, c’est un joyau en bois tout autant important que les sculptures ou vitraux, ici heureusement préservés.

 

 

 

 


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